Sur le plan économique, social et politique, l'année a été dominée par les débats autour de la loi Travail alors que dans les entreprises, élus du personnel et directions se saisissent à peine de la loi Rebsamen de 2015. La conduite de cette réforme aura contribué à discréditer la méthode social-démocrate et la recherche d'un compromis social. Mauvaise augure pour 2017 ?
Annoncée par le Président de la République le 18 janvier 2016 devant le CESE (conseil économique et social) en même temps qu'un plan d'urgence pour former 500 000 demandeurs d'emploi, la loi Travail a été adoptée définitivement le 21 juillet grâce au 49.3 et publiée le 9 août 2016 (►notre dossier). Ce texte aura dominé l'actualité sociale et politique de l'année, comme on peut le voir ci-dessous dans notre infographie.
Ce projet aura surtout fait sombrer la méthode social-démocrate de François Hollande et achevé de persuader ce dernier qu'il valait mieux renoncer à un nouveau mandat plutôt que de risquer une défaite humiliante lors de la primaire socialiste de janvier 2017. Cette méthode consistait à réformer la France par la voie de la démocratie sociale, en recherchant un compromis avec les partenaires sociaux afin de transformer ces accords nationaux interprofessionnels en textes législatifs. Cette méthode avait été privilégiée en début de quinquennat, Jean-Marc Ayrault étant Premier ministre, avec les conférences sociales.
Elle a produit notamment :
- la loi de sécurisation de l’emploi du 14 juin 2013. Ce texte a révisé les règles du licenciement économique afin d'inciter à la négociation des plans de sauvegarde de l'emploi (PSE) et fixé des délais prefix pour la consultation du CE, dans le but de réduire les contentieux, ce qui s'est produit, bien que le juge administratif reste vigilant (►notre article sur l'annulation de l'homologation du PSE d'IBM). Ajoutons aussi que cette loi a posé les bases de la base de données économiques et sociales (BDES), censée depuis juin 2014 pour les grandes entreprise et juin 2015 pour les moins de 300 salariés l'outil d'information et de négociation des élus du personnel ;
- la loi sur la formation et la démocratie sociale du 5 mars 2014. Ce texte a imposé la transparence financière aux CE. Désormais, les comités d'entreprise doivent obligatoirement se doter d'un règlement intérieur et présenter leurs comptes selon leur taille. Cette loi a également créé le compte personnel de formation (CPF) et supprimé le financement des partenaires sociaux via la formation professionnelle (exit le preciput et le Fongefor). Un nouveau prélèvement alimente désormais un fonds géré paritairement. Ce fonds a d'ailleurs publié en décembre son premier bilan (►notre infographie).
En 2015 toutefois, le gouvernement a dû légiférer sans accord interprofessionnel, du fait de l'échec des négociations sur les institutions représentatives du personnel (IRP) : c'est la loi Rebsamen. Ce texte crée la nouvelle délégation unique du personnel élargie au CHSCT, regroupe en trois grands blocs l'information-consultation du CE ainsi que les négociations, sans oublier la possibilité donnée aux entreprises de plus de 300 salariés de regrouper leurs instances ou encore l'obligation faite aux syndicats d'établir des listes de candidat permettant une représentation équilibrée entre femmes et hommes.
Cette loi du 17 août 2015 (►notre dossier) n'est encore que rarement appliquée en entreprise. Nous parlons ici du nouveau calendrier de consultation (voir sur le calendrier social annuel l'accord d'ADP et l'accord de Coca Cola ) comme des possibilités de regroupement des IRP, avec de rares accords sur le sujet, des entreprises comme Solvay, Up et Areva faisant figure d'exception. Il faut dire aussi que le ministère du Travail a beaucoup tardé à publier les décrets d'application de cette loi de 2015. Il a ainsi fallu attendre :
- le 24 mars 2016 pour le décret sur les moyens de la nouvelle DUP incluant le CHSCT (►notre article) et le décret sur le regroupement des IRP par accord (►notre infographie et notre article);
- le 14 avril pour le décret réglementant la visioconférence, l'enregistrement et la sténographie lors des réunions du CE, sans oublier le délai de réalisation du PV (►notre article);
- le 30 juin 2016 pour le décret sur l'information donnée aux CE à l'occasion des nouvelles grandes consultations (►notre article pour les grandes entreprises et ►notre article pour les moins de 300 salariés), un texte qui précise aussi les délais préfixes s'imposant aux consultations du CHSCT (►notre article).
Cet exemple, qui devrait inspirer les politiques, montre surtout qu'il faut du temps pour que les acteurs sociaux et économiques s'approprient un changement décrété par la loi, a fortiori lorsque ce changement n'apparaît pas aussi simplificateur qu'il y paraît. Les professionnels l'ont du reste expliqué à la ministre du Travail Myriam El Khomri, qui, lors de sa visite au salonsCE de Paris en septembre dernier, s'inquiétait de l'application du texte de son prédécesseur.
Il n'en reste pas moins que le gouvernement aura lancé en 2016 une nouvelle "grande" loi sociale inaugurant une nouvelle écriture du code du travail (abandonnant au passage les 61 principes fondamentaux proposés par Robert Badinter en janvier 2016) alors même qu'on ignore comment la loi Rebsamen sera appliquée. Qu'importe : comme le montrent les confessions d'un chef de l'Etat sensible à l'idée d'accroître l'influence des syndicats dits "réformistes" (►notre article sur les coulisses de la loi Travail), il s'agissait de prouver à l'opinion que l'Exécutif est décidé à réformer jusqu'au bout, quand bien même la loi n'a que très peu de chances de s'appliquer et de produire quelque effet d'ici les échéances électorales d'avril 2017. Sauf, sauf si les entreprises se saisissent rapidement des nouveaux assouplissements consentis sur le temps de travail à compter du 1er janvier 2017, et qui supposent désormais d'obtenir des accords majoritaires (►notre article).
Le destin de la loi dépend aussi de ce qu'en fera la nouvelle majorité législative de juin 2017 : quel que soit le vainqueur, il n'est exclu que ce texte, ou certaines dispositions en faveur d'une plus grande flexibilité (par exemple : pluri-annualisation du temps de travail, licenciement économique, prépondérance donnée à l'accord de groupe sur l'accord d'entreprise, par exemple), soient conservées et puissent donc produire leurs fruits sur la durée...On peut aussi s'interroger sur ce que deviendront effectivement les droits collectifs transférés vers des droits individuels, logique esquissée avec le compte personnel d'activité et sur laquelle s'interrogent des spécialistes des ressources humaines (►notre article "Où va le travail ?").
Pour retrouver l'essentiel de la loi Travail, qui donne plus de poids à la négociation collective (avec des accords majoritaires dès 2017 pour la durée du travail et les congès), qui commence à réformer le code du travail, qui "corrige" la loi Rebsamen, qui réforme la médecine du travail, qui met sur les rails le compte personnel d'activité (CPA) tout en redéfinissant le licenciement pour motif économique, consultez notre infographie et notre dossier |
Le résultat politique du choix de la loi Travail, et surtout l'effet de la conduite de ce projet, est connu : l'idée même de démocratie sociale est remise en cause. Le modèle est aujourd'hui décrié. Parce qu'il n'a pas produit de résultats marquants contre le chômage, disent les uns, parce qu'il n'empêche pas le grignotage des droits des salariés comme des IRP, avancent les autres, au contraire parce qu'il n'autorise pas des solutions innovantes mettant réellement en cause l'existant, tranchent d'aucuns. Mais aussi, sans doute, parce que ses défenseurs sont moins audibles : les annonces de François Hollande (avec le CICE et le pacte de responsabilité) ont brouillé le message et semblaient d'ailleurs en contradiction avec ce modèle de consensus.
A gauche, la majorité parlementaire s'est trouvée profondément divisée par les débats sur la loi Travail autour de la question de l'inversion de la hiérarchie des normes et de la place accordée à la négociation d'entreprise. Aujourd'hui, il reste de toute façon trop peu de temps à Bernard Cazeneuve, qui a hérité du fauteuil de Premier ministre à la suite de la candidature de Manuel Valls à la primaire socialiste, pour envisager la mise en oeuvre de nouvelles réformes. La sortie avant les prochaines échéances électorales de tous les textes d'application de la loi Travail serait déjà une gageure, mais reconnaissons que la direction générale du travail n'a cette fois pas traîné puisque ont déjà paru les décrets concernant :
- le compte personnel de formation (►notre article du 18/10)
- la restructuration des branches (►notre article du 25/10);
- la représentation patronale (►notre article du 25/10);
- le temps de travail et les congés (►notre article du 22/11);
- les congés spéciaux (►notre article du 23/11);
- la transmission des accords (►notre article du 22/11);
- le vote électronique pour l'élection des DP et du CE (►notre article du 7/12);
- la contestation des expertises CHSCT (►notre article du 20/12)
- le bulletin de paie électronique (►notre article du 21/12);
- le décret sur le référendum (►notre article du 23/12).
A droite, la campagne des primaires a vu prospérer un discours valorisant une réforme rapide et radicale, menée sans concertation avec les partenaires sociaux grâce à l'onction électorale fraîchement obtenue, Bruno Le Maire suggérant par exemple la suppression de l'article du code du travail prévoyant la concertation préalable des partenaires sociaux avant des réformes touchant au champ du social. Rien ne dit cependant qu'il serait aussi aisé de faire passer certains changements...
Le vainqueur de la primaire, François Fillon, qui sera donc le candidat de la droite à l'élection présidentielle de 2017, a en tout cas gagné sur cette ligne. S'il ne va pas jusqu'à prôner comme Alain Juppé une représentation unique du personnel, le programme de François Fillon prévoit la fin du monopole syndical de présentation des candidats au premier tour, le relèvement du seuil d'élection des délégués du personnel et du comité d'entreprise, la limitation à 50% du temps de travail le temps que pourrait consacrer un élu du personnel à son mandat. Mais paradoxalement, ce même programme consacre la logique esquissée par la loi Travail : François Fillon veut "recentrer le code du travail sur les normes sociales fondamentales et renvoyer le reste aux accords d'entreprise", lui qui fut d'ailleurs à l'origine de la première inversion de la hiérarchie des normes. Sa loi de 2004 a ouvert la voie à des accords d'entreprise moins favorables que la branche, sauf si la branche l'interdit explicitement (►voir à ce sujet notre article sur les changements apportés par la loi Travail).
Cette approche est aussi celle d'Emmanuel Macron, qui n'a de cesse de se démarquer du bilan de François Hollande dont il fut le secrétaire général adjoint à l'Elysée puis le ministre de l'Economie jusqu'en août 2016. Tout se passe donc comme si de plus en plus d'acteurs politiques considéraient que l'adaptation de la France à la globalisation économique supposait que les inflexions nécessaires au maintien d'une économie compétitive (c'est à dire une flexibilité plus grande pour les salariés, pour parler clair) soient négociées entreprise par entreprise. Pour caricaturer : on veut bien des représentants du personnel, mais au niveau local, et à condition qu'ils approuvent les textes qui leur sont proposés (mais cette idée est-elle même contredite par la priorité donnée dans la loi Travail à la négociation de groupe, voir notre article), sinon l'usage du référendum permettra à l'employeur de se passer de leur approbation. Cette approche se double au passage d'une remise en cause du paritarisme, Emmanuel Macron suggérant par exemple la nationalisation de l'assurance chômage.
Bien sûr, on va sûrement voir se développer d'autres thèses à l'occasion de la primaire de gauche en janvier prochain, Benoit Hamon proposant par exemple de rétablir la hiérarchie des normes mais aussi de doter le CE d'un droit de veto pour les entreprises de 2 000 salariés. Mais d'une part, il n'est sûr que les programmes de candidats socialistes très divisés aient été conçues en associant les organisations syndicales, d'autre part, l'idée dominante est bien désormais celle de faire confiance au niveau de l'entreprise.
La loi Travail aura également divisé un peu plus les organisations syndicales, les unes se positionnant en faveur d’une importance supplémentaire donnée aux accords d’entreprise (comme la CFDT, l’UNSA, la CFTC), les autres y voyant le prélude à une généralisation de l’inversion de la hiérarchie des normes (CGT, FO) dangereuse tant pour les organisations syndicales que pour les droits des salariés. Après ses fortes turbulences internes dues à l’affaire Le Paon, la CGT, dont Philippe Martinez a été réélu secrétaire général lors du congrès d’avril, s’est ressoudée dans l’opposition à ce texte.
En 2016, la CGT a souvent manifesté aux côtés de FO (dont le secrétaire général Jean-Claude Mailly, auteur d'un livre à charge sur la loi Travail, effectue un dernier mandat jusqu’en 2018) tandis que la CFDT jouait de son côté de son influence pour faire retarder l’adoption en conseil des ministres du projet de loi afin d’en faire retirer le barème prud’homal des indemnités et la redéfinition du licenciement économique. Une CFDT concurrencée dans les entreprises par une CFE-CGC qui a changé de tête lors de son congrès de juin : Carole Couvert a cédé la place à François Hommeril, qui a imprimé à sa confédération un discours beaucoup plus critique à l’égard de la politique économique et sociale du gouvernement. Les organisations syndicales vont affronter en 2017 un paysage incertain. Peut-être les syndicats se rabibocheront-ils en 2017 en faisant front commun contre un gouvernement d'alternance qui porterait une remise en cause trop profonde à leurs yeux du modèle social français. Ce n'est toutefois pas gagné, tant l'échéance électorale du scrutin des très petites entreprises, en janvier, suivie de la nouvelle mesure de la représentativité des confédérations, devrait exacerber la compétition entre les organisations.
Fin 2016, le débat autour des propositions Fillon aura montré l'attachement des Français à la sécurité sociale et le conflit social des chauffeurs de Uber aura mis en évidence la nécessité d'une régulation dans ces nouvelles activités. Dès lors, on ne peut que souhaiter qu'un vif débat démocratique soit mené à l'occasion de la présidentielle (les 23 avril et 7 mai) et des législatives (les 11 et 18 juin). Un débat permettant d'aborder les questions essentielĺes pour l'avenir des salariés et de leur représentants : quelle répartition des richesses souhaitons-nous ? Quel peut être l'avenir de notre modèle social et de notre droit du travail ? Quelles sont les conditions d'une économie compétitive à laquelle les salariés soient véritablement associés ? Comment lutter efficacement contre le chômage et la pauvreté ? Comment assurer le financement de notre protection sociale ? Sans oublier d'autres enjeux, tout aussi essentiels, autour de la préservation de l'environnement, la fin 2016 ayant été marquée par des pics de pollution dans plusieurs villes françaises, et du bon équilibre entre recherche de la sécurité publique et libertés individuelles. La France ayant été à nouveau endeuillée par le terrorisme en 2016 avec Nice (86 morts) et l'assassinat du père Hamel en Normandie, la nouvelle année va s'ouvrir une nouvelle fois, en effet, sous le régime, qui paraît désormais permanent, de l’état d’urgence.
► Certaines dates de notre infographie ci-dessous sont cliquables et renvoient vers nos articles.
Représentants du personnel
Les représentants du personnel sont des salariés élus ou désignés chargés de représenter les salariés de l’entreprise avec des missions spécifiques selon l’instance représentative du personnel (IRP) à laquelle ils appartiennent. Il y a quatre grandes IRP : les DP, le CE, CHSCT et les délégués syndicaux. Au 1er janvier 2020, l’ensemble des IRP (hormis les délégués syndicaux) devront fusionner au sein du CSE.
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